A l’occasion de la Journée Mondiale contre la cyber-censure (12 mars), je voudrai contribuer en apportant une part de réflexion sur la position de Madagascar face à la question de la liberté sur internet. Pays relativement jeune par rapport au numérique mais dont le contexte socio-économique et surtout politique offre un cadre de réflexion intéressant en ce qui concerne les progrès technologiques et les perspectives d’une éventuelle censure sur internet.
Une journée mondiale contre la cyber-censure?
L’initiative est lancée en 2008 par Reporters Sans Frontières pour dénoncer la cyber-censure et la répression d’internautes (net-citoyens, citoyens-journalistes, blogueur) à travers le monde mais surtout pour mobiliser chacun en faveur de la liberté d’internet et sur internet.
Pour l’occasion, RSF publie chaque année un rapport annuel qui dénonce les institutions considérées comme étant des « Ennemies d’internet« , des institutions qui agissent souvent sous l’autorité d’un gouvernement. On y retrouve bien sûr les institutions d’Etat de certains Bad boy du monde comme Le Département 27 de la Corée du Nord ou le Conseil Suprême du cyberespace en Iran, mais aussi des noms de pays réputés plus démocratiques comme le Royaume-Uni (GCHQ), et les Etats-unis (NSA).
Surveiller ou censurer internet mais pour quoi faire?
Dans l’histoire, les médias ont toujours occupés une place importante quand il s’agit de jouer avec forger l’opinion publique. En d’autres termes : qui maîtrise l’information, maîtrise le peuple
. L’enjeu est tel que le contrôle des médias a toujours fait parti des préoccupations des dirigeants et aspirants dirigeants, qu’il s’agisse d’une dictature ou d’une démocratie.
Seulement, depuis internet, contrôler les médias est devenu d’autant plus difficile que désormais chaque citoyen peut être son propre média sans pour autant supplanter le journaliste. Conséquence, l’information est beaucoup moins domptable mais aussi beaucoup plus menaçante. Surtout depuis 2011. Les gouvernements redoutent encore plus l’avènement d’ un nouveau #SIDIBOUZID … ou si l’on parle de Madagascar, d’un nouveau 2009, 2002, 1991, … (année au choix selon l’orientation politique)
Madagascar, Internet et Censure dans une même phrase…
Apparement, Madagascar n’en est pas encore au stade où il faut s’inquiéter de la cyber-censure si l’on en croit les rapports « Ennemis d’internet » de RSF. Mais si mettre ces trois mots dans une même phrase peut encore sonner faux, les gens de presses été assez longtemps dans le milieu entendront « Madagascar + censure » comme un ancien tube de l’été.
Le contexte malgache de la censure, de la cyber-censure
La censure a presque toujours accompagnée l’histoire de la presse et des Médias à Madagascar, surtout quand il s’agit des médias publics. D’abord avant 1991, jusqu’à ce que la liberté de la presse ne soit vraiment garantie par la loi et la constitution. Depuis, la censure directe de la part de l’Etat n’existe plus … officiellement … du moins pour sur les médias privées.
Les médias malgaches, terrain de jeu des politiciens et victime du commerce
Mais depuis, le système politique a compris la force que peut véhiculer les médias, ce qui a mené à la formation d’un écosystème assez singulier : avec près de 300partis politiques, il devient plus difficile pour les politiciens de gagner en influence, donc afin d’acquérir une place dans l’opinion publique les politiques se lancent dans l’acquisition de leurs propres organes de presse. La bataille politique et les campagnes électorales se fait désormais en permanence au niveau des médias.
En conséquence, l’information qui sort des médias traditionnels est plus victime de l’autocensure au niveau de l’organe de presse elle-même, que d’une quelconque censure de l’État.
Ajouté à l’autocensure politique, une certaine forme d’autocensure économique s’est imposée peu à peu avec la banalisation des pratiques du felaka (enveloppe versée au journaliste). Pourquoi? Tout simplement parce que le partage de l’information est alors monétisée, renfermant le public dans une bulle où seules les informations qui ont été boosté par leurs doses de felaka sont diffusées.
Le web pour contourner l’autocensure dans les médias traditionnels
Ces pratiques d’autocensures ont contribué à valoriser l’utilisation d’internet comme média d’informations. Là où les médias traditionnels se retiennent, les nouveaux médias se lâchent. Là où le langage des journalistes professionnels pue le texte commercial, blogueurs et twittos discutent avec passion et désintérêt. Entre ceux qui dépensent un peu de sous pour partager et ceux qui partagent pour gagner un peu de sous, il y a forcément une différence.
Et les frontières de cette liberté inhabituelle se sont vite fait sentir.
En 2011, le blogueur SS Dago publie un article sur son blog (retiré depuis) pour dénoncer les qualités de services d’un FAI. L’affaire se termine par une action en justice. Une première dans la blogosphère malgache mais le doute et les inquiétudes de l’éventualité d’une censure n’ont vraiment surgit qu’avec la fameuse loi du 06 juin 2014.
L’État malgache peut-il vraiment faire de la cyber-censure?
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Pour ce qui est de recourir à des moyens techniques pour censurer (bloquer certains sites, faire un blackout total), j’avoue que je n’ai pas vraiment de certitude même si la HAT avait déjà réussi une fois en redirigeant le site de l’ex-président Marc Ravalomanana vers celui de la HAT pendant quelques jours. Espérons juste que nous ne tomberons pas aussi bas que la Somalie où la milice dirigeante a ordonnée la suppression d’internet juste parce qu’elle n’a pas eu les compétences pour le censurer.
Au moment de la rédaction de cet article, aucune donnée fiable ne permet de confirmer si une telle censure existe à Madagascar. Vous pouvez contribuer en installant l'application OONI Probe (disponible sur Windows, Mac, Android, iOS) UPDATE : Plusieurs témoignages concordants tendent à prouver qu'un des Fournisseur d'Accès à Internet numéro un à Madagascar bloque désormais l'accès à plusieurs site internet, dont le site du torproject.org (qui permet de télécharger un navigateur sécuriser pour contourner les censures).
Edit (2021) : Rappelons au passage que depuis 2016, couper internet est une atteinte aux Droits de l’Homme.
Mais au-delà des moyens techniques directs, il serait aussi intéressant de se pencher sur d’autres menaces possibles :
Une cyber-censure par la loi
Dès qu’on parle de loi et de liberté d’expression actuellement, on a immédiatement en tête la loi 2014-006 sur la lutte contre la cybercriminalité qui a fait beaucoup de polémique sur le web et en dehors. Une loi d’autant plus redoutée aux yeux des internautes que les seules actes cybercriminelles que le pays ait connu soit des cas de menaces par e-mail. Sur ce point, Madagascar frôle déjà dangereusement les limites à ne pas franchir mais ayant déjà susciter beaucoup de réactions, une recherche sur Google suffirait largement à approfondir ce point.
Art.20.– L’injure ou la diffamation commise envers les Corps constitués, les Cours, les Tribunaux, les Forces Armées nationales ou d’un Etat, les Administrations publiques, les membres du Gouvernement ou de l’Assemblée parlementaire, les fonctionnaires publics, les dépositaires ou agents de l’autorité publique, les citoyens chargés d’un service ou d’un mandat public, temporaire ou permanent, les assesseurs ou les témoins en raison de leurs dépositions, par les moyens de discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par le biais d’un support informatique ou électronique, sera punie d’un emprisonnement de deux ans à cinq ans et d’une amende de 2.000.000 Ariary à 100.000.000 Ariary ou l’une de ces peines seulement.
Note : Ce dont on parle moins c’est que cet article a déjà un précédent très similaire (les articles 103-104 de la loi 92-039) qui est en vigueur depuis 1992. Quoique, la différence réside sûrement dans le montant de l’amende : entre Ar 6.000 et Ar 200.000 en 1992 contre Ar 2.000.000 et Ar 100.000.000 (oui, il y a bel et bien 8 zéros dans ce nombre) pour la loi de 2014. Mais la différence également pour la loi de 1992, c’est qu’elle différencie explicitement la diffamation à propos de la fonction et celle à propos de la vie privée, même pour une personne d’Etat. On s’imagine bien que ce détail aura son importance dans des situations où, à titre d’exemple, un petit malin se déciderait à publier un article sur un DSK gasy.
Une cyber-censure indirecte en mettant la pression sur des acteurs intermédiaires
Et voici le cas auquel on n’aurait pas fait le lien immédiatement. Vers le mois d’Août 2014, l’OMDA réclame un droit Ar 2.000 / PC / cybercafé car selon elle, les cybercafés contribuent à favoriser le piratage en étant un des canaux par lesquels passe le téléchargement illégal.
Petite parenthèse hors-sujet : que celui qui osera me montrer que le Gouvernement et l’OMDA n’utilisent pas de logiciels contrefaits se manifeste!
Le lien avec le sujet actuel, c’est que avec la sécurité/protection du territoire, les questions de droits d’auteurs sont parmi les raisons fréquemment évoquées pour soutenir une mesure apparentée à la cyber-censure. Exemples : Aux USA avec les projets de lois SOPA et PIPA et en Europe ( Ipred ).
Ce qui devrait susciter notre attention ici, c’est la réponse de certains cybercafés sur le consommateur finale. Quand un organisme réussit à faire en sorte qu’un cybercafé se décide à bloquer l’accès à l’intégralité de YouTube pour respecter le droit d’auteur, on n’est déjà plus loin d’une cyber-censure relativement bien camouflée. Il suffit juste d’observer comment, au Royaume-Uni, la pression du gouvernement sur les FAI pour bannir les sites pornographiques a dérapé vers la cyber-censure.
Si aujourd’hui, on parvient à ce que des cybercafés privent ses consommateurs de grande source d’informations comme YouTube. Demain, avec les bons arguments, on pourra probablement faire bloquer bien plus.
Une cyber-censure … naturelle
Avec un taux de pénétration ne dépassant pas les 5%, un taux d’analphabétisme d’à peine 47%, une mauvaise répartition des infrastructures, des problèmes récurrents de coupure d’électricité, … et la liste est encore assez longue, à Madagascar, l’ Etat n’a même pas besoin de recourir aux méthodes fortes comme il a été le cas ailleurs. Le meilleur moyen de faire la « censure » serait encore de laisser l’éducation et l’accès à l’information à son bas niveau.