Depuis que les réseaux sociaux ont permis à tout le monde de s’autoproclamer journaliste, scientifique et juge suprême, les professionnels de l’information et les amateurs avertis ne cessent de prêcher à chaque sauts de rumeurs : vérifiez avant de partager !
Oui, sauf que dans les faits, accéder à des sources d’informations variées n’est pas si aisée. Comment le collégien sur son foza ou la nenitoa quinquagénaire pourraient-ils adopter le réflexe alors que leur offre internet se limite à un baril de Facebetsaka ou 123 Forfait Copain selon l’opérateur. Facebook à gogo pour à peine l’équivalent d’un caca pigeon, l’offre est vendu comme la crème de la branchitude, le synonyme de la jeunesse.
L’accès à l’information, c’est pour les riches.
Il y a moins de dix ans, le nombre d’internautes à Madagascar se comptait sur six chiffres. Malgré quelques tentatives de hausses vers 2007-2008 (lancement du premier réseau d’internet mobile), puis vers 2012-2013 (fibre optique), le pourcentage d’utilisation d’internet a fait un réel bond (+5% en 4 ans) après le mois de juin 2016 : internet.org de Facebook s’immisce à Madagascar à travers deux opérateurs internet. Désormais, Facebook sera accessible gratuitement, ou du moins accessible à l’argent de poche d’un collégien. Pour accéder au reste d’internet, il faudra en payer le prix.
Conséquences :
- Il existe pratiquement toute une génération d’utilisateurs, notamment des adolescents, qui n’auront connu rien d’autre d’internet que facebook. Caricaturalement, sauraient-ils même faire la différence entre internet et facebook ?
- Facebook entretient le monopole de l’utilisation d’internet avec plus de 80 % de parts de marché. Là où les statistiques sur les termes de recherches Google indiquent aussi en top #2 : « Facebook ».
Promouvoir uniquement facebook au dépend d’un internet neutre peut accentuer les inégalités en termes d’accès à l’information et favoriser la propagation des rumeurs.
Dans le contexte que le pays a laissé instaurer, un grand nombre d’utilisateurs sont plongés dans le monde d’internet sans en avoir les moindres notions sur le fonctionnement, et avec comme seule référence le fonctionnement unidirectionnel et « professionnel » des médias traditionnels : d’où viennent les informations auxquelles ils sont exposés ? Qui peut publier quoi ? A quelles sources d’informations peuvent-ils se fier ? …
Paradoxe. La société dans laquelle ils vivent est dite dépassée lorsqu’il s’agit de s’approprier et exploiter les technologies, mais est pourtant à l’affût pour en subir les nouveaux cyber-maux dont les conséquences ne sont pas seulement virtuelles: les cas de harcèlement de « la baccueuse », de Maman’i Lova, …
Cette dynamique contribue à créer une catégorie d’internautes particulièrement vulnérables à des menaces auxquels ils n’ont pas du tout été préparés : canulars et désinformation, phishing, chantages et exploitations sexuelles en ligne, … Notamment en ce qu’il s’agit principalement d’enfants et d’adolescents.
L’enjeu des fake news n’est pas seulement technologique
L’infodémie est un fléau mondial, certes …
Selon les historiens, le recours aux pouvoirs déstabilisants des rumeurs et aux fausses informations existe au moins depuis le VIème siècle1. Cependant, la popularisation du débat et l’utilisation du terme « fake news » s’est réellement instaurée au cours des cinq dernières années, grâce notamment aux prises de parole de personnalités politiques comme Donald Trump ou Jair Bolsonaro. Le monde francophone, lui, préfère le terme « infox », qui évoque mieux toute la diversité de de ce maux émergent : fausses informations, canulars, détournements, …
La montée en puissance des fake news a bousculée notre perception du monde jusqu’aux plus hauts niveaux :
En 2019, l’OMS avait classé la méfiance anti-vaccin, alimentée par les théories du complots, comme l’une des dix plus grandes menaces contre la santé publique mondiale. La rougeole est rapidement venue en preuve concrète.
La Directrice Exécutive de l’UNICEF, elle, partage ses craintes sur ce qui pourrait créer « la génération de citoyens la plus méfiante de l’histoire.«
En 2020, l’ampleur du phénomène au cours de la pandémie mondiale de COVID-19 fait ré-émerger un (vieux) terme auparavant plus discret : l’infodémie, le mot prend tout son sens. Au point de mobiliser jusqu’au Secrétaire Général des Nations Unies dans une allocution inédite sur le sujet.
Madagascar subit pleinement les conséquences des infox malgré une faible proportion d’internautes. Cas d’exemples.
Le 12 septembre 2017, la presse révèle un cas de peste pulmonaire identifié entre la capitale, Antananarivo, et Toamasina. En moins de 12 heures, alimentée par facebook, l’information se répand comme une traînée de poudre. Rapidement, les pharmacie à Toamasina sont assaillie et tombent à cours de masques et de Co-trimoxazole.
Le fait est réel, les conseils qui s’en suivent, eux, ne le sont pas. Au cours de cette épidémie, plusieurs vagues de rumeurs s’enchaîneront au fil des évènements (faux conseils thérapeutiques, inoculation de faux vaccins sur les enfants, complots, …) causant pénuries, exodes massifs accélérant encore plus la circulation des malades, violences sur les personnels de santés, émeutes.
Madagascar doit garantir un accès neutre à l’information pour armer ses citoyens contre la désinformation
Il ne s’agit pas ici de diaboliser une plateforme en particulier. Les rumeurs et les fausses informations sont des maux de société qui existent depuis toujours, nourries par le manque d’esprit critique et/ou de l’accès à l’information.
Là où les réseaux sociaux ont grandement contribué à amplifier le problème, c’est en créant l’effet de bulle qui enferme les victimes de fausses informations dans leurs idées2. Proposer des offres internet qui ne permettent pas à l’individu d’accéder à des sources d’informations variées ne fait qu’aggraver cet exclusion.
Loi : L’État doit légiférer pour garantir un accès neutre aux contenus
Si les FAI proposent des offres low cost alimentant l’idiocratie et la désinformation, c’est pour le profit. Si Facebook leur offre généreusement un accès gratuit, c’est pour le profit (Facebook a investi à Madagascar depuis 2016). Les entreprises cherchent le profit, c’est l’ordre naturel des choses. L’Etat, lui, se doit d’encadrer les pratiques afin de ne pas porter préjudice, ni à sa population, ni à son économie sur le long terme.
A lire : Free Basics à Madagascar : l’internet gratuit de Facebook à quel prix ?
Régulation : Les réflexions et mesures de régulation concernant internet doivent tenir compte des enjeux sociétaux
Souvent le débat concernant internet est centré sur la technologie. Pourtant, aux bouts des écrans ce sont des humains qui interagissent : des proches qui se partagent de leurs nouvelles, des adolescents qui s’initient aux parades nuptiaux médiatisées, des escrocs, des prédateurs sexuels, des politiciens, …
Toutes les innovations technologiques engendrent de nouvelles pratiques qui forgent nos sociétés. Ces facteurs doivent être pris en compte dans la régulation des innovations afin de ne pas porter préjudice à des populations déjà vulnérables (les enfants, la population non-instruite, …) ou de créer de nouvelles inégalités.
Éducation : La prochaine génération doit être mieux armée à avoir un esprit critique
Les fausses informations sont un phénomène de société, tandis que les réseaux sociaux sont des technologies qui vont évoluer au fil du temps. Au delà de toute réflexions autour de la technologie, la seule véritable solution durable reste d’investir dans l’éducation : exercer la jeune génération à l’esprit critique plutôt qu’à la répétition.
- 1.LTR. November 2017. doi:10.5860/ltr.53n8
- 2.Mortimer K. Understanding Conspiracy Online: Social Media and the Spread of Suspicious Thinking. DJIM. April 2017. doi:10.5931/djim.v13i1.6928